Je célèbre en mon fort intérieur une belle victoire.
Je célèbre l'ouverture d'une porte dans un mur de brique. Et oui, vous avez bien lu. C'est que cette porte, on l'a défendue bec et ongle, on l'a négociée serrée et on l'a gagnée. Pas pour nous, mais pour les femmes de la communauté de Totora.
Cette porte, c'est la porte indépendante vers l'extérieur pour la nouvelle salle d'accouchement humanisé de Totora. C'est la porte qui permettra aux femmes et aux familles d'entrer discrètement dans leur lieu de naissance, de ne pas affronter leur peur de l'hopital, de se sentir le plus possible comme chez-soi. C'est la porte qui leur permettra d'entrer et de sortir à leur guise, de jour comme de nuit, sans passer devant les docs et les patients, sans fraterniser avec les microbes des autres. C'est la porte qui, nous pensons, leur donnera envie de venir accoucher dans la salle de naissance humanisée du Projet Un aguayo.
Petite histoire d'une porte à grande portée.
Décembre: nous visitons le chantier de construction de l'agrandissement de l'hopital de Totora, offert par le gouvernement canadien. Nous constatons que ce qui est prévu pour être la salle d'accouchement humanisé ne correspond pas du tout à ce que les femmes de la communauté ont exprimé. Les femmes veulent un lieu chaud, intime, commode, où peut se réunir toute la famille. Avec une petite cuisine, une entrée indépendante de l'hopital. Car ici, les habitants ont peur de l'hopital.¸Ils n'ont pas confiance, ils ne veulent pas y aller. D'ailleurs, à Totora, 75% des femmes accouchent à la maison dont au moins 50% seules avec leur mari. Les taux de mortalité maternelle et infantile sont dans la région les plus hauts de tous les Amériques, après Haiti.
Voilà donc, nous constatons que les plans semblent avoir été fait dans le but unique de remplir la nouvelle réquisition du gouvernement d'Évo Morales, soit d'avoir une salle d'accouchement interculturelle (ou humanisée) afin que les femmes puissent y accoucher selon leurs coutumes, selon leurs désirs. Alors, ils en ont mis une. En plein milieu de l'hopital, avec une seule fenêtre qui donne sur la salle d'attente, pas de salle de bain, sombre et à peine plus grande qu'un garde-robe Walk-in. Bravo.
Décembre-janvier-février: Nous enchaînons les lettres, les rencontres, les lettres, les visites, les téléphones, les lettres. Nous demandons à changer le lieu de la salle d'accouchement humanisé et de l'interchanger avec la salle d'hospitalisation qui elle sera beaucoup plus vaste, au soleil, pleine de fenêtres, avec une salle de bain. Parfait. Il ne manquera qu'à ajouter une porte indépendante et le tour est joué.
Ah, mais là, ça ne pouvait être si simple. Toute qu'une étape qu'ouvrir cette porte! Le directeur du SEDES (département de santé de Oruro) est venu avec nous sur le chantier pour autoriser les changements demandés. Tous. Sauf la porte. Pourquoi donc, me direz-vous? Parce que, selon lui, le fait de construire une entrée indépendante renforcera l'idée que la médecine moderne est séparée du volet de médecine plus traditionnel.
«Il faut travailler ensemble! Partager les mêmes lieux, les mêmes entrées! Passer ce message d'unité à la population!»
Mais oui. Pour moi, collaborer ensemble est bien distinct que de travailler soudés, collés, un par-dessus l'autre. Parce qu'il ne croit pas que les docs vont littéralement engloutir la sage-femme traditionnelle? Parce qu'il croit que les gens ne vont plus être terrorisés à l'idée d'entrer dans l'hôpital seulement parce qu'on leur dit que quelque part en dedans il y a une sage-femme traditionnelle qui les attend? Ben voyons. Il pense que les familles vont être à l'aise d'entrer et de sortir à toute heure du jour pour venir visiter la maman qui vient d'accoucher? Alors qu'ils n'entrent même pas dans l'hôpital quand ils sont malades et ont besoin de se faire soigner? Ils ont peurs des médecins et de la médecine moderne. Si on vise une augmentation du taux de naissance en centre de santé, on ne devrait pas se donner toutes les chances?
Nous avons alors convenu que nous offririons 5000 Bolivianos pour effectuer les changements de locaux, installer la salle de bain et la porte. Nous payons déjà pour l'équipement de la salle d'accouchement et le salaire de la sage-femme. Alors si toutes nos réquisisions étaient prises en compte, on allait majorer notre aide au financement. Tous ces détails ce n'est pas pour moi, pas pour le projet non plus, mais pour les femmes et les familles de la communauté. Pour qu'ils se sentent bien, à l'aise, comme chez-eux, tranquilles.
Mars: Le maire nous a dit la semaine dernière qu'il ne paierait pas pour la porte faute de sous et que nos 5000 Bolivianos ne suffiraient pas pour toutes nos demandes. Alors, pas de porte. Mais il voulait quand même nos 5000 Bolivianos pour payer la salle de bain. Hum.... dilemne. Nous avons contacté le «financiador canadien» pour l'aviser, voir ce qu'on allait faire....payer, changer pour une salle meilleure mais sans entrée indépendante ou simplement se retirer du projet??
Et c'est finalement jeudi dernier, après 3 mois de marchadange, que le dossier de la porte a abouti. J'ai eu une réunion avec l'architecte du chantier et le responsable administratif du chantier. Ils avaient déjà engagé nos 5000 Bolivianos dans de la main-d'oeuvre alors que maintenant on se questionnait à savoir si on demeure dans le projet de construction ou non... Petit problème. Alors, la compagnie a décidé de payer la fameuse porte en réduisant les dépenses ailleurs sur le chantier. 1300 Bolivianos pour acheter la porte contre 5000 Bolivianos en don du projet... Leur perte est quand même moins grande. Et en plus, les madames sont contentes.
L'inauguration (enfin) de l'agrandissement de l'hôpital de Totora aura lieu ce dimanche, le 21 mars. On devrait même recevoir la visite du président bolivien Evo Morales. Je vais certainement contempler la fameuse porte du coin de l'oeil, un petit sourire en coin, durant le discours du préseident sur la nécessité de centrer les soins de santé sur les besoins de la population...
Félicitations pour votre ténacité!!! Visiblement ça paie!
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