C’est à Curahuara de Carangas, une petite municipalité andine située à 3 heures et demi de 4x4 d’Oruro, qu’a débuté le projet «Un aguayo para un parto sin riesgo» en 2006. Avec l’aide d’une volontaire québécoise d’Uniterra, Miriam Rouleau-Pérez, les gens de la municipalité ont entrepris de trouver des solutions aux taux élevés de mortalité maternelle et infantile. En effet la région de l’altiplano occupe tristement le 1er rang pour tout l’Amérique du Sud.
À ce moment, seulement 16% des femmes accouchaient en centre de santé. La vaste majorité accouchait dans leurs maisons assistées principalement de leurs maris, de leurs familles, d'une sage-femme…mais le tout avec bien peu de moyens, mais surtout en des lieux très éloignés, rendant difficile une intervention si une complication survenait. L’offre de services dans l’hôpital (accouchements avec table de gynéco munie d’étriers) ne convient pas à ces femmes pour qui les valeurs familiales et traditionnelles sont très importantes.
Vient alors l’ingénieuse idée de partir des besoins de la population pour offrir un service adapté culturellement. La salle d’accouchement interculturelle «wawa yurin uta» est née, une sorte de petite maison de naissance chaude et conviviale avec un matelas épais au sol, une jolie déco traditionnelle, un coin cuisinette et un divan pour la famille qui accompagne la femme en travail. Les femmes qui habitent loin y logent souvent de 3 à 4 jours après la naissance. Une sage-femme traditionnelle a aussi été engagée pour faire partie de l’équipe du centre de santé, une première au pays! Les femmes peuvent maintenant choisir la personne qui les assistera à l’accouchement, de même que le type de chambre de naissance souhaitée. Afin d’augmenter la couverture de soins de santé, le CECI offre un incitatif aux femmes qui, en plus d’avoir donné naissance en compagnie d’un médecin, d’une infirmière ou de la sage-femme, ont effectué au moins 4 visites prénatales, reçu leur vaccination antitétanos et fait le suivi postnatal pour elles et leur bébé. Le paquet cadeau comprend un aguayo (tissu traditionnel qui sert de porte-bébé ici), un petit kit de vêtements de bébé, une serviette, une couverture de flanelle, un savon et de la poudre. En un an, le nombre de femmes accouchant avec un membre de l’équipe de santé est passé de 16% à 84%!
Maintenant, quelques années plus tard….
Une récente étude du CECI a montré que les statistiques sont nettement meilleures à Curahuara que dans les autres municipalités de l’Altiplano où le projet est en phase de démarrage. Beaucoup plus de femmes font un suivi complet, elles ont des connaissances plus approfondies des soins et des signes d’alarme en grossesse, accouchement et postnatal. Et surtout, elles sont satisfaites des soins offerts et de la possibilité de choisir.
Or, l’équipe de direction du centre de santé a changé…et le médecin directeur ne cache pas son désaccord avec le fait que la salle d’accouchement interculturelle est à l’extérieur de l’hôpital et que la sage-femme y pratique normalement seule, quand tout est physiologique. Il aimerait avoir un regard plus direct, en plus de participer aux accouchements, «travailler ensemble»…car, sans surprise, la quasi-totalité des femmes optent pour la salle interculturelle et Dona Gregoria, la sage-femme. L’équipe de santé a donc entrepris, subtilement, d’augmenter sa présence aux accouchements avec la sage-femme, trouvant des moyens pour s’y immiscer… comme en retenant le matériel d’accouchement dans l’hôpital.
Lors de notre rencontre, la sage-femme nous a parlé avec passion de leur projet, de leur petite maison de naissance, de la satisfaction des femmes. Et plus tard, avec le trémolo dans la voix, elle nous a exprimé sa tristesse de se sentir de plus en plus exclue de l’équipe du centre de santé, de plus en plus sur-surveillée dans sa pratique…et ce, malgré des résultats très positifs.
Et voilà, une bonne partie de mon mandat à Curahuara : voir et comprendre ce qui s’est passé et aider à la résolution de cette délicate situation en discutant avec les gens impliqués. Et aussi, voir à éviter à ce que des situations semblables de reproduisent plus tard dans les municipalités qui démarreront le projet Un aguayo dans quelques semaines.
Épatant de voir que plus ça change, plus c'est pareil! Le Québec a livré cette bataille il y a 20 ans... et ce n'est pas fini! Certains pays d'Europe suivent la marche (Belgique, Suisse)... et maintenant la Bolivie qui doit "jouer du coude" avec cette saro-sainte (fausse)impression de sécurité (in)hospitalière. Un argument de plus pour faire médecine: envahir l'ennemi de l'intérieur!
RépondreSupprimerJess